Les tensions latentes entre le Canada et les Etats-Unis d’Amérique (2 des 8 Etats possédant du territoire en Arctique) sont éclipsées par toute l’attention portée à la fonte des calottes glacières. Les deux pays doivent être résolus à éviter toute complication au vu de la nouvelle situation géopolitique qui se fait jour, selon une étude récente.
De Julia Meyer
« Les deux pays doivent prêter attention aux problèmes en Arctique, mais tout en étant conscients d’à quel point leur attitude dans cette région affecte leurs relations internationales, y compris l’un envers l’autre », selon l’étude réalisée par le prestigieux Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Rédigée par Kristofer Bergh, l’étude dit : « Si le Canada et les Etats-Unis veulent poursuivre leurs intérêts dans cette région, ça devra être au moyen d’une coopération étroite, notamment parce qu’ils assumeront tour à tour la présidence du Conseil arctique. Les relations américano-canadiennes joueront donc un rôle important dans les changements à venir en Arctique. La résolution de désaccords capitaux, ainsi que l’identification des priorités communes, contribuera à renforcer la position des deux pays dans cette région. »
Le Canada et les Etats-Unis (ainsi que le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède) font partie du Conseil arctique. Ce conseil, qui comprend les représentants des populations indigènes de la région, est devenu une instance de décision avec un secrétariat et un budget permanents. De ce fait, il attire davantage d’attention de la part des autres pays.
Depuis 2006, trois Etats nordiques avaient assuré successivement la présidence du Conseil : la Norvège (2006-2009), le Danemark (2009-2011) et la Suède (2011–2013), qui étaient tombés d’accord sur un ensemble de priorités communes. Dès 2013, le Conseil sera présidé par le Canada pendant deux ans (2013-2015), puis par les Etats-Unis (2015-2017).
L’étude, intitulée « Les politiques canadienne et américaine concernant l’Arctique : motifs de politique intérieure et contexte international », met en garde contre « les désaccords persistants » entre le Canada et les Etats-Unis, des désaccords qui pourraient saper leur capacité à poursuivre leurs intérêts dans la région arctique.
En effet, pour l’avenir de l’Arctique, le Canada et les Etats-Unis devront coopérer étroitement, notamment au vu de la hausse de l’activité humaine dans la région, au fur et à mesure qu’elle devient de plus en plus accessible. L’augmentation du trafic dans le Passage du Nord-Ouest représentera un défi pour les deux Etats, qui devront trouver comment continuer à agir et fonctionner en Arctique, d’autant plus si leurs responsabilités dans la région sont encore peu claires.
Bergh poursuit : bien que les Etats-Unis ne se soient pas particulièrement distingués dans la coopération internationale concernant l’Arctique (bien que cela semble s’améliorer), le Canada a précisé à plusieurs reprises son intention d’imposer son hégémonie dans la prise de décisions concernant la région polaire.
La Stratégie pour le Nord, politique intérieur du Canada concernant l’Arctique, avait été présentée en 2009. Elle avait été publiée avec l’autorisation du ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord (également interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits), et se concentre sur quatre domaines prioritaires : (a) la souveraineté ; (b) le développement socio-économique ; (c) l’environnement ; (d) un gouvernement amélioré envers le peuple du Nord.
Présentée lors d’une déclaration en août 2010, la politique étrangère du Canada concernant l’Arctique se concentre sur les dimensions internationales des quatre piliers mentionnés précédemment, en accordant plus d’importance à sa souveraineté en Arctique.
Pour les Etats-Unis, l’Arctique américain recouvre tout le territoire américain situé au nord du Cercle arctique, ou bien « au nord et à l’ouest de la frontière formée par la rivière Porcupine et les fleuves Yukon et Kuskokwin ; par toutes les mers contiguës, y compris l’océan Glacial arctique, les mers de Beaufort, de Béring et des Tchouktches ; ainsi que par la chaîne aléoutienne. »
La politique étrangère des Etats-Unis concernant l’Arctique est établie dans la directive présidentielle du 9 janvier 2009. Dernière directive présidentielle à être émise par l’ex-président George W. Bush, ce document avait été largement accepté par le gouvernement du président suivant, Barack Obama, et considéré comme étant en grande partie bipartite.
La politique américaine met l’accent sur les problèmes de sécurité nationale dans un Arctique en évolution, et qui se fait de plus en plus accessible. Parmi les autres problèmes soulignés dans ce document, on trouve l’environnement, le développement économique, le mode de gouvernement, les communautés autochtones et la science.
Là où le Canada a des stratégies assez globales pour s’occuper de ses propres régions en Arctique (ainsi qu’une politique étrangère plus étendue dans la région), la directive présidentielle dictant la politique des Etats-Unis est quant à elle plutôt limitée, affirme Bergh, l’auteur de l’étude. Cependant, le propos des deux documents de politique témoigne également de l’importance que tient le problème de l’Arctique aux yeux des deux pays.
Bergh ajoute que « l’Arctique est devenu une région de grande importance politique pour le Canada. Toutefois, les déclarations du gouvernement canadien au sujet de l’identité et de la souveraineté ne dénotent guère un désir de coopération internationale. Bien que les intérêts publiques et politiques des Etats-Unis demeurent faibles, et que leur capacité à gérer la région laisse beaucoup à désirer, des changements sont visibles sur le plan de leur politique étrangère et de défense. »
Sécurité
L’auteur de l’étude fait remarquer que les politiques respectives du Canada et des Etats-Unis soulignent toutes les deux beaucoup la souveraineté et la sécurité dans la région arctique. La directive américaine affirme que les Etats-Unis « ont dans la région de l’Arctique des intérêts généraux et fondamentaux concernant la sécurité nationale », alors que la politique du Canada dit que « l’exercice de notre souveraineté au nord du Canada […] est notre priorité absolue quant à la politique étrangère en Arctique. »
Les deux pays admettent que rendre l’Arctique plus accessible conduira à une hausse de l’activité humaine dans la région, avec des conséquences tant positives que négatives. Tandis que les Etats-Unis parlent de leur préoccupation quant aux activités terroristes et à l’application de la loi maritime, le Canada fait part de son inquiétude à l’égard du crime organisé, et du trafic de drogues comme du trafic humain.
Les Etats-Unis mentionnent plusieurs défis sur le plan militaire, avec des implications pour l’Arctique, telles que « la défense anti-missiles et les systèmes d’alerte avancée ; le déploiement de systèmes aériens et marins pour le transport stratégique par voie maritime, ainsi que la dissuasion stratégique, la présence maritime et les opérations de sécurité maritime ; enfin, assurer la liberté de navigation et de survol. »
Pour le Canada comme pour les Etats-Unis, la question de la souveraineté est étroitement liée à la perspective de la découverte de nouvelles ressources en Arctique, et aussi liée aux problèmes du plateau continental et des limites – qui pourraient avoir une incidence sur l’accès à ces ressources.
Les Etats-Unis reconnaissent que plusieurs zones contestées en Arctique pourraient contenir des ressources essentielles pour assurer la sécurité énergétique en territoire américain ; on en trouve par exemple dans la mer de Beaufort, le Canada et les Etats-Unis ne tombant pas d’accord sur la limite maritime.
Le Canada décrit ce genre de désaccords comme des « problèmes frontaliers distincts », et qu’aucun d’entre eux ne pose de problèmes de défense ou n’a d’impact sur la capacité du gouvernement canadien à coopérer avec d’autres Etats arctiques.
Un autre de point de désaccord entre le Canada et les Etats-Unis concerne le Passage du Nord-Ouest, que les Etats-Unis voient comme un détroit international via lequel n’importe quel bateau a le droit de passer librement. « De nombreuses agences gouvernementales américaines reconnaissent que le Passage du Nord-Ouest et celui du Nord-Est comportent tous les deux des implications sur les détroits stratégiques partout dans le monde », dit l’étude. Le Canada, en revanche, affirme que le pays « contrôle toute navigation maritime sur ses eaux » qui, selon sa propre définition, comprennent le Passage du Nord-Ouest.
Les deux pays considèrent l’accroissement de leur capacité à mener des opérations militaires en Arctique comme un atout important pour résoudre leurs problèmes respectifs de sécurité et de souveraineté.
(Traduit de l’anglais : Thomas Gabiache)