L’Espagne se débat, aux prises avec un dilemme: laisser agir les politiciens, suivre servilement les ordres de Goldman Sachs ou de ses acolytes européens, ou continuer à faire valoir ses revendications et tenter de mobiliser une population qui reste en proie à la peur.
La peur de perdre le peu qu’on a encore, et la peur –qu’on lui donne le nom qu’on voudra- du nouveau.
Le gouvernement de Mariano Rajoy a été élu démocratiquement lors des dernières élections présidentielles espagnoles, recueillant un nombre de voix record dans l’histoire du Parti Populaire (PP). Candidat peu crédible dont même les siens se moquaient, l’actuel président est parvenu à faire de la trahison du socialisme (PSOE) une campagne publicitaire des plus réussies. En promettant d’agir aux antipodes du gouvernement mal en point de Rodríguez Zapatero, il a réussi à supplanter les socialistes juste à temps pour sauver ses propres alliés.
Rajoy a trompé l’ensemble de la population en mettant en œuvre des politiques identiques à celles menées précédemment par le PSOE, et allant même jusqu’à enfoncer un peu plus profondément le clou des ajustements et des coupes budgétaires. S’abritant derrière le prétexte qu’il s’agit de mesures imposées par la Banque centrale européenne (BCE) et par les puissances européennes, il ne veut pas faire les frais des réformes assassines qu’il met en œuvre.
Malgré des louanges exagérées, on ne peut pas l’accuser de mener une politique incohérente depuis qu’il est à la tête du gouvernement : il a agi comme a toujours agi le PP, en favorisant les grands oligarques, l’Église, le secteur de la banque et la monarchie.
Ce serait être naïf que d’attendre autre chose de ce parti pro-franquiste. Ce que l’on ne peut pas encore prévoir, c’est jusqu’où le gouvernement en place ira dans la razzia, quelles seront les limites que lui imposera la population et jusqu’à quel degré de violence les politiciens seront prêts à aller.
Jusqu’à maintenant, la répression a été forte et disproportionnée, et a eu l’effet escompté : la dispersion. Mais il se pourrait que les toutes dernières mesures prises (30 milliards d’euros octroyés aux banques, diminution des salaires, des retraites et des aides au chômage, augmentation de la TVA, etc.) aient provoqué de nouveaux mouvements populaires qui dépassent les mesures traditionnelles de contention des manifestations et les allègres coups de matraque.
Cependant, il reste deux faits très décourageants dans ce sens : malgré la mort d’un supporter de l’Athletic Bilbao, tué par des tirs de balles de caoutchouc et d’alliage métallique, l’interdiction de cette catégorie d’armes n’entrera pas en vigueur avant –au moins- l’année prochaine. Par ailleurs, nous sommes témoins d’une militarisation des Asturies, alors que la police réprime les travailleurs des mines de charbon qui persistent à rester dans la rue pour protester.
Les deux vidéos suivantes [en espagnol et en anglais, NdT] montrent, dans un premier temps, comment la police a tiré sans aucune raison sur des manifestants qui défilaient à Madrid ces derniers jours, et dans un deuxième temps, le type d’affrontements qui ont lieu dans les montagnes asturiennes.
Nombreux étaient ceux qui annonçaient la fin du mouvement du 15-M. Nous l’avons vu s’éteindre, emporté dans certains quartiers par les partis politiques qui ont investi les assemblées, ou dans d’autres par la dissolution entraînée par des difficultés de communication. Dans ce sens, il sera intéressant de suivre de près l’évolution des paradigmes qui naîtront au sein du mouvement et de voir comment apparaîtront et se mettront en place des formes novatrices d’organisation, de prise de décision, de stratégies de lutte. Elles devront apprendre sur le tas pour pouvoir montrer à d’autres qu’il est possible de faire de ses rêves une réalité.
Dans les moments de crise les plus difficiles, l’Argentine a su faire face aux besoins les plus urgents : soupes populaires, coopératives, reconversion d’usines, système de troc, assemblées de quartiers, écoles populaires et syndicats de chômeurs. Toutes ces mesures permettent de faire face aux responsabilités de la vie quotidienne et aux premières nécessités de la population, et permettent l’apparition d’une nouvelle conscience sociale solidaire, plurielle, respectueuse et basée sur l’intelligence collective.
Cette intelligence collective doit également se manifester dans la sphère politique. Pour éradiquer les mauvaises politiques et la corruption de la classe politique professionnelle, il convient d’investir les espaces de décision, de chasser des partis les politiciens corrompus et de créer de nouveaux partis qui soient à la hauteur des valeurs qu’on leur impute.
S’intéresser à la politique ne veut pas dire abandonner les projets parallèles que l’on puisse avoir, mais il est périlleux de laisser aux loups le soin de garder le troupeau. Pour emprunter le chemin du changement non violent, il convient de s’emparer de tous les fronts d’action aux mains des personnes violentes et d’en changer la nature.
Dans ce sens, on note des signes encourageants : les manifestations menées par les pompiers, le personnel de santé et le personnel enseignant, qui cherchent à faire changer le cours des choses, montrent que les institutions auxquelles ils appartiennent se démocratisent. Et le fait qu’un syndicat militaire fasse publiquement état de son mécontentement quant aux politiques menées par le gouvernement a ouvert de nouveaux fronts de discussion.
L’heure de la justice et de la police viendra, tout vient à point à qui sait attendre. Il est important de ne pas se laisser aller au pessimisme et à l’angoisse. Il faut garder bien haut l’esprit de lutte organisée et se rappeler que tant que nous sommes ensemble, nous ne sommes pas vaincus. C’est l’ensemble qui améliore les individus, et si l’on arrive à franchir ce pas qui sépare l’individu de la communauté, la bataille principale sera gagnée.
(Traduction de l’espagnol : Pauline Aschard)