Pressenza Rédaction Paris, 23/06/12 À l’heure où la vitesse à laquelle circule l’information empêche de la contrôler en temps réel, les réseaux sociaux sont devenus les donneurs d’impulsion des révoltes et des soulèvements qui voient le jour dans le monde entier.
Internet et téléphonie mobile mis à part, l’essentiel de l’information se propage par le biais de la radio (de moins en moins) et de la télévision (qui prend de plus en plus d’importance).
Cela fait déjà quelque temps que dans une bonne partie du monde, les entreprises de télécommunication ont cessé d’appartenir aux États, de sorte que les tarifs et les moyens de communication utilisés par les populations sont désormais entre les mains de grandes multinationales. Un phénomène similaire s’est produit dans le cas des chaînes de télévision qui, une fois privatisées, ont vu les annonceurs intégrer les conseils d’administration, lorsque ce n’était pas les grandes entreprises elles-mêmes qui achetaient ou créaient leurs propres médias.
Ces canaux de communication continuent à bénéficier de l’approbation des populations, qui pensent avoir accès à un service d’information et de divertissement, alors qu’en réalité il s’agit de publicité (déguisée ou non), présente dans l’intégralité des programmes.
Les positions que chacun de ces grands groupes de médias défend profitent à leurs propriétaires et répandent plus largement leur vision du monde et leur idéologie. Par exemple, on pourrait citer la stigmatisation de certains secteurs de la société qui sont discrédités et dénigrés jusqu’à satiété : ce phénomène correspond à une idéologie particulière et peut finir par façonner le point de vue de larges pans de la population sur certains sujets.
Le commerce de l’information et de la publicité s’est révélé tellement lucratif pour les grands groupes, non seulement en soit mais aussi vis-à-vis des autres secteurs des affaires, qu’ils ont établi des oligopoles dans le monde entier, acquérant ainsi une position dominante au pouvoir et à la portée bien plus importante que celle de n’importe quel gouvernement.
L’affaiblissement du pouvoir détenu par les gouvernements, coquilles vides d’un système peu démocratique qui cherchait à satisfaire le plus grand nombre en lui offrant la possibilité de choisir le chef de l’entreprise publique au service des puissants, pourrait faire l’objet d’un autre article.
**Au sud du Rio Grande**
Il est intéressant de noter que ce schéma, qui tend à se généraliser, est sorti des rails en Amérique latine. Une poignée de gouvernements a défié le pouvoir factice des grands groupes, et ce phénomène s’est accompagné de changements importants quant à la perception que les populations ont de la manipulation médiatique.
On peut voir un signe de ce changement d’ère dans la dévalorisation et la méfiance de la population envers cette flopée de médias qui, à force d’utiliser pléthore d’autoréférentiels, a perdu en crédibilité. À l’instar de l’attitude des nouvelles générations, qui ne suivent plus d’autres consignes ou commandements que ceux qui leur viennent de leur expérience personnelle de lutte. Un collectif qui prône, par exemple, l’éducation gratuite, est susceptible de regrouper de multiples opinions et points de vue en son sein sans que cela ne soit un problème et en se faisant, au contraire, une diversité enrichissante.
Les guerres médiatiques qui ont lieu au Venezuela, en Équateur, en Bolivie, en Argentine ou plus timidement au Brésil se heurtent à ce contexte général.
**Guerres de l’information**
La déstabilisation constante et l’usure qui poussent les politiques publiques à s’éloigner des principaux sujets de débat et à imposer leurs propres programmes ont fait du pouvoir que l’on considérait au siècle dernier comme le 4e en terme d’importance un pouvoir paraétatique à la portée et à l’influence énormes.
Les campagnes putschistes menées par les propriétaires des principaux journaux et par les chaînes de télévision, incitant à se servir d’idoles médiatiques pour transmettre l’idéologie de leurs chefs par des recours à la complicité avec les spectateurs, ont fait trembler tous les gouvernements de la région.
**11 avril 2002**
La tentative de coup d’État contre Hugo Chavez n’a pas débuté lors de la prise du Palais de Miraflores [résidence des présidents vénézuéliens, NdT], mais avec l’occupation de la chaîne de télévision vénézuélienne Canal 8 (seule chaîne publique à l’époque) et lorsque le signal de transmission de la chaîne a été interrompu afin qu’aucun message ne vienne contredire le discours enflammé qui cherchait à renverser le président vénézuélien élu.
Les citoyens ont cependant soutenu la révolution bolivarienne et, le lendemain, l’armée, fidèle au président renversé, a repris la chaîne Canal 8 et a rétabli le signal de transmission. Cet acte, qui remettait en place la communication entre les membres du gouvernement et ses électeurs, a rétabli la démocratie dans le pays caribéen et lui a permis d’en tirer un enseignement quant à la façon dont se déroulent les complots putschistes du XXIe siècle.
**Décembre 2007**
Evo Morales a lui aussi failli céder face à la force raciste et exploiteuse des départements de la « Media Luna » [demi-lune, nom donné aux départements de l’est du pays –Santa Cruz, Beni et Pando, NdT] qui se sont alliés aux grands groupes médiatiques. Une fois de plus, la population, organisée et indélogeable, est descendue dans les rues pour soutenir le premier président indigène de l’Histoire bolivienne.
Peu de temps après, une loi interdisant les attaques racistes et discriminatoires dans les médias ainsi que les bordées d’injures et les marques de mépris dont le chef de l’État et toute la communauté indigène ont été victimes a été promulguée, les rendant illégales. Reste encore à imposer aux dirigeants des médias de respecter ces principes d’égard et de dignité.
**17 juillet 2008**
Cristina Fernández de Kirchner n’a pas non plus pu échappé aux coups bas des oligopoles qui détiennent le pouvoir depuis 60 ans en Argentine. Lorsqu’elle s’est portée candidate aux élections présidentielles de 2007, Nestor Kirchner qui était alors son mari et le président du pays, a reçu l’ordre de Hector Magnetto, PDG du groupe Clarín (fournisseur de plus de 60 % de la télévision par câble en Argentine, détenteur de plus de 300 signaux de télévision et de radio, fabriquant de papier à destination des journaux et propriétaire de tous les journaux à grand tirage du pays) de ne pas permettre à une femme de se présenter. La désobéissance de Nestor Kirchner a fait lieu de déclaration de guerre et a engendré la campagne la plus dévastatrice de l’Histoire de l’Argentine, qui a fait rage contre la chef de l’État depuis lors réélue.
En 2008, l’ensemble des grands propriétaires terriens de plantations de soja (à l’instar de ce qui s’est passé au Paraguay cette semaine) a rallié l’oligopole formé par Clarín, a affaibli la démocratie et paralysé le pays, entraînant ainsi une situation proche du coup d’État qui a même poussé le vice-président à trahir le gouvernement et à se présenter comme successeur d’une présidente à la popularité et à la représentation en chute libre.
La loi sur les médias, tout comme la reprise de l’entreprise étatique de production de papier et une campagne de communication officielle soutenue destinée à faire comprendre les actes des responsables du tumulte à la société civile, ont permis de miner la position dominante des grands groupes de médias et à contrecarrer leur pouvoir ; la présidente a été reconduite à la tête de l’État en 2011 avec 54 % des voix.
**L’ancien président brésilien, Luis Ignacio Lula da Silva,** n’a eu de cesse d’informer ses compatriotes du pouvoir du journal O Globo, groupe multimédias qui monopolise le secteur de la communication et de l’information au Brésil. La franchise, la combativité et la cohérence dont a fait preuve l’ancien syndicaliste lui ont permis de résister aux coups portés et de ne pas perdre sa grande popularité.
**30 septembre 2010**
Autre cas emblématique, les évènements qui ont eu lieu en Équateur, lorsqu’un soulèvement des forces de police s’est soldé par la tentative d’assassinat du président Rafael Correa, qui a dû être protégé par des soldats d’élite. La révolte a été provoquée par la campagne médiatique qui a fait croire aux syndicats des forces de police que le gouvernement allait diminuer leur salaire. Les oligarques ont profité de cette insurrection pour tenter de renverser le président, en essayant même de l’assassiner.
Le lendemain, les campagnes médiatiques se sont poursuivies, même après la fin de l’incident, lorsqu’on a prétendu que le président avait donné l’ordre de tirer dans l’enceinte d’un centre hospitalier, faisant de nombreux blessés ; ce mensonge enfiévré a valu un procès pour diffamation à l’auteur de ces balivernes et au propriétaire du journal où elles ont été publiées (et qui ont ensuite fait le tour des médias).
Le gouvernement équatorien cherche également à promulguer une nouvelle loi sur les médias qui permettrait de rétablir un système de communication plus large et plus diversifié que le système actuel, où les intérêts privés prévalent (depuis l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa, l’État possède à nouveau une chaîne propre).
**22 juin 2012**
Le président du Paraguay, Fernando Lugo, a été destitué par le biais d’une manœuvre illégitime orchestrée par la classe politique traditionnelle. La mansuétude de l’ancien évêque a permis aux députés du Parti Colorado (d’où était issu Alfredo Stroessner, dictateur à la tête du pays pendant 45 ans) et du Parti libéral (dont est issu Federico Franco, le vice-président qui a pris les commandes de l’État depuis le procès politique) de le destituer 10 mois avant la tenue des prochaines élections présidentielles.
Les accusations portées contre l’ancien évêque frôlent le ridicule et s’inspirent des éditoriaux des médias de l’opposition ; elles profitent des affrontements qui ont eu lieu entre les paysans et la police à Curuguaty, qui se sont soldés par la mort de 17 personnes. Les origines du conflit remontent à l’occupation de deux mille hectares de terre par des paysans et aux prétentions de l’ancien sénateur du Parti Colorado, Blas Riquelme qui revendique leurs possessions au titre d’actes de propriété datant de la dictature de Stroessner.
Les revendications se poursuivent, fondées sur la défense de l’État de droit et sur le rejet des manœuvres antidémocratiques qui entraînent le Paraguay et sa population dans une très grave situation de vulnérabilité.
*(Traduction : Pauline Aschard)*