Sur la base de l’expérience personnelle vécue dans les assemblées du mouvement 15M surgi à Madrid en mai 2011, est l’objet de cet écrit.
Définition
Dans le *Dictionnaire du Nouvel Humanisme*, nous pouvons lire la définition suivante du mot consensus : (du lat. consentio : être d’accord). Acceptation unanime de toutes les personnes qui composent une corporation ou un groupe. Contrat formé par l’accord des parties. Cette coïncidence d’opinions autour d’un certain problème d’intérêt mutuel permet d’établir une action commune. Quel que soit son degré par rapport aux appréciations et aux actions, le consensus est nécessaire pour toute forme de relation sociale. Au sens large le c. représente le niveau d’harmonie et de solidarité consciente ; le dépassement des conflits, des divergences et de l’inimitié. Le c. est aussi une méthode pour atteindre l’objectif, c’est un engagement, un accord, un désir de compréhension mutuelle et une minimisation des contradictions entre les parties. Dans la sociologie positiviste le c. a été interprété comme solidarité conçue rationnellement. Le principe du c. ou de l’unanimité est largement utilisé dans l’activité parlementaire et dans la pratique diplomatique. La réalisation du principe de c. rend inutile la procédure du vote et l’imposition de l’opinion de la majorité qui ignore les points de vue de la minorité. En ce sens le procédé du c. renforce la solidarité humaine parce qu’elle prend en compte l’expérience et les intérêts légitimes de tous et non d’une partie de la société. Il n’existe pas de c. complet et absolu, de la même manière que ne sont pas possibles l’assimilation et l’identification de tous les intérêts en jeu. Tout c. est relatif et fréquemment de courte durée. Le c. par majorité formelle, est capable de discriminer les intérêts de la minorité. Le principe de c. est une méthode pour éviter les votes, en épuisant la discussion, afin de résoudre des désaccords et renforcer ainsi l’esprit de coopération au sein d’un groupe. Il n’y a pas de processus social qui n’inclut différentes formes et niveaux de c. D’autant plus riche et consistant sera le c., d’autant plus harmonieux sera le développement social. Dans le monde actuel précisément, l’orientation humaniste peut être la forme la plus saine de c. social.
Conditions préalables au dialogue
Le paradoxe du consensus est que pour y parvenir il faut auparavant se mettre d’accord sur le mécanisme lui-même, comme forme d’échange pour arriver à une prise de décision en ensemble ; pour cela, un emplacement préalable est nécessaire, dans lequel la résolution de l’intérêt commun va être plus importante que la défense du propre point de vue. C’est pourquoi il est très important de définir auparavant l’intérêt de ce qui est en débat et que la personne ait tout le contexte de ce qui a été vu précédemment, ou qu’elle ait les mêmes co-présences et le même niveau d’information sur le sujet à traiter.
Modus operandi
Voici, à titre d’exemple , un mode opératoire basé sur les expériences d’assemblées du mouvement 15 M à Madrid. [Pour plus de détails](http://madrid.tomalaplaza.net/2011/05/31/guia-rapida-para-la-dinamizacion-de-asambleas-populares)
• Des fonctions nécessaires au service de l’ensemble se définissent, en général par auto-postulation, telles que : modération et dynamisation, tour de parole, facilitateur, interprètes (langage des signes ou autres) et responsable des actes ; dans le cas d’assemblées massives, plusieurs personnes peuvent occuper ces fonctions de manière rotative. Il n’existe pas la figure d’une autorité supérieure qui règle finalement les discussions (dans tous les cas la fonction modération aide à canaliser le débat et à limiter des interventions hors sujet) et morphologiquement les personnes qui occupent les différentes fonctions peuvent être réparties à différents endroits de l’assemblée.
• Le sujet mis en débat se pose avec clarté ; sa formulation est très importante afin que cela ne laisse aucune place au doute ; qu’il soit sous forme de question fermée ou ouverte.
• On ouvre le tour de parole. On définit généralement un temps par tour de parole et on lève la main pour parler. Celui qui occupe la fonction tour de parole prend note et gère les différentes interventions avec le modérateur.
• Face à une certaine position exprimée, le reste des participants montre son accord, désaccord ou doute ; si quelqu’un n’est pas d’accord, on lui donne la parole et il doit faire valoir une autre position remise à nouveau en débat ; l’idée est d’arriver à une position intégratrice.
• L’aspect logistique est important car chacun doit être écouté avec clarté, microphone ou autre mécanisme comme dans le cas de New York où n’ayant pas l’autorisation de d’utiliser de sonorisation, ce sont les personnes mêmes de l’assemblée qui font fonction de haut-parleur.
Le consensus n’est pas une question de majorité numérique, ni d’une certaine minorité qui cède sa position par pression de groupe. Avant de poser le problème il n’y a pas, en général, d’a priori sur la conclusion finale, mais plutôt l’apport de chacun qui donnera lieu à quelque chose de nouveau, une réponse de l’ensemble ; ta proposition s’enrichit de la mienne et il ne s’agit pas de céder devant les arguments ou la pression numérique des autres, il s’agit plutôt qu’avec sincérité j’essaye d’écouter activement ce qui tu proposes et que je flexibilise mon point de vue.
• Extrait du document de dynamisation d’assemblées 15 M : La pensée collective est totalement opposée au système actuel qui est régi par une pensée individualiste. Par conséquent elle est difficile à assimiler et à appliquer. Nous avons besoin de temps, c’est un long processus. Normalement face à une décision deux personnes avec des idées opposées tendront à s’affronter et à défendre férocement leurs idées en mettant comme objectif convaincre, gagner ou tout au plus parvenir à une position intermédiaire. L’objectif de la pensée collective est de construire. C’est-à-dire que des personnes avec des idées différentes mettent leurs énergies pour construire ensemble quelque chose. Il ne s’agit pas alors de mon idée ni de la tienne. Ce sont les deux idées ensemble qui donneront une nouvelle création qu’a priori nous ne connaissions ni toi ni moi. C’est pourquoi l’écoute active est tellement nécessaire, et pas seulement pour préparer la réplique que nous allons donner.
La pensée collective naît quand nous comprenons que toutes les opinions, les nôtres et celles des autres, toutes sont nécessaires pour générer l’idée de consensus. Une idée qui, après sa construction, de manière indirecte nous transforme.
Caractère opérationnel et limites de cette forme : D’un point de vue opérationnel, quelquefois ce n’est pas tant le résultat, la résolution qui compte mais ce qui se passe entre les personnes en train de s’écouter les unes les autres et qui en déplaçant leurs positions comme un flux entre des neurones, parviennent à une nouvelle structuration. On peut en arriver à des situations où face à des dissentiments réitérés et après plusieurs reformulations, on ne parvient pas à un consensus ; dans ce cas on postpose le sujet pour une prochaine assemblée en donnant du temps pour la réflexion sur chaque position. Le fait de donner à tout moment la possibilité de dissentiment retarde beaucoup la résolution de questions parfois urgentes ; c’est pourquoi il est très important que celui qui décide de prendre la parole le fasse de manière réfléchie, après avoir écouté très attentivement les autres propositions.
Registres et intangibles
Les registres qu’on a pu observer par expérience sont :
L’impatience en principe par le peu de caractère opérationnel apparent quant à la résolution, dans un deuxième temps cela oblige à une écoute active et le fait de se mettre à la place de l’autre en essayant de comprendre son point de vue produit une véritable compassion. On sent que l’on est une partie de quelque chose, parce qu’on a pu s’exprimer. Un consensus bien réalisé où l’on traite l’autre comme on voudrait être traité produit un registre d’action valable, parce que coïncide la tête avec le cœur et cela ouvre le futur pour l’action. Dans le consensus, personne ne peut revendiquer la suprématie de point de vue, j’avais raison etc. parce qu’il n’y a ni vainqueurs ni vaincus.
Finalement, le plus remarquable une fois obtenu le consensus est un registre très clair : on est passé du UN au NOUS et nous pouvons parler de la dissolution des egos en faveur de l’intérêt commun, en faveur d’un dessein majeur. Cela produit une grande distension, un registre d’ajustement et d’inclusion dans quelque chose d’un autre niveau, d’une plus grande puissance et d’une plus grande qualité. On perçoit la force de l’ensemble non comme une masse amorphe et homogène mais comme un ensemble d’identités multiples qui ne se sont pas perdues dans cette construction mais y ont contribué avec le meilleur de chacune.
Changement de forme
Nous venons généralement de formes plutôt pyramidale ou dialectique autant dans le domaine social que dans celui des relations personnelles.
Dans la forme pyramidale, il y a un va et vient entre la base et le sommet ; dans certains cas … on consulte le peuple. Dans tous les cas, les décisions prises affectent la base sociale au travers de consignes et de lignes directrices ; cette base mettra en place à son tour ces actions ou réagira face à ces décisions. Aujourd’hui, on observe sous plusieurs latitudes des phénomènes où la base ne reconnaît plus les coupoles, qu’elles soient manifestes comme dans les dictatures personnelles ou que ce soit sous des formes plus diffuses comme les marchés financiers ou les classes politiques. Le fait est qu’il en train d’émerger au sein des populations cette tentative d’auto-organisation : « nous allons nous débrouiller par nous-mêmes », ou « nous le faisons nous-mêmes ou personne ne va le faire », qui laisse de côté les chefs, les guides, les leaders etc. Là où on cherchait généralement des références placées en haut dans l’espace de représentation , la figure à consulter, celle qui donne des ordres, des recommandations ou des orientations, les gens commencent à échanger des expériences y compris intimes et cherchent ensemble des alternatives de manière horizontale.
Au-delà d’une question morale de droits humains c’est une question de traitement d’égal à égal, à l’horizontal, où il n’y a pas à l’avance une représentation de quelqu’un au-dessus de quelqu’un d’autre.
Dans les cas où il y a débat ou dialogue, on avait et on a encore l’habitude d’utiliser cette forme dialectique en mandorle dans laquelle l’accent est mis sur le fait de contrecarrer l’argument de l’autre.
Dans les deux cas, il nous semble que la tendance est au dépassement de ces formes au bénéfice de formes plus horizontales, multipolaires ou polycentriques. Il n’y a pas de doute que les outils offerts par les nouvelles technologies avec les connexions en réseaux, où chacun peut être nœud de communication, étant à la fois émetteur et récepteur d’informations, et générateur d’événements aident aussi à ces nouvelles formes de relations interpersonnelles et sociales et facilitent de plus des mobilisations sans leader.
Dans ce chaos apparent, on valorise plus l’anonymat que le leadership, l’accord par consensus que les vieilles formes de dialectique car l’emplacement est d’horizontalité totale, dans un espace vaste et flexible sans centre de pouvoir manifeste, donnant lieu à une nouvelle forme enveloppante.
Vers une nouvelle forme mentale ?
En nous risquant à une interprétation, nous avons l’intuition que cet intangible d’horizontalité qui se manifeste dans le consensus et cette nouvelle sensibilité peuvent être les signaux d’un changement de forme mentale. Ce n’est pas hasard si de manière concomitante à ces nouvelles formes sociales émergentes, les dernières théories sur l’univers mettent en évidence la possibilité d’univers parallèles et multidimensionnels, d’un temps multi-spatial.
Dans tous les cas, l’apprentissage de cette nouvelle forme dont nous ne parvenons pas à prévoir les conséquences dans le futur, vaut la peine d’être approfondi parce que nous observons qu’il ouvre de nouvelles zones de l’espace de représentation.
Tantan, Sahara marocain – 18 mars 2012 / Madrid 10 avril 2012
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“ Les humanistes ne veulent pas de maîtres ; ils ne veulent pas de dirigeants ni de chefs, ni se sentent représentants ni chefs de personne … ”