Sa libération reste provisoire. Le juge Faouzi Jebali présidait également le procès de Nabil Karoui, directeur de Nessma, reporté au 19 avril prochain.
“La libération de Nasreddine Ben Saida est un soulagement mais ne change rien au caractère inique de ce procès”, a rappelé Reporters sans frontières. L’organisation condamne fermement le recours au code pénal alors même que le nouveau code de la presse vient d’entrer en vigueur et que celui-ci dispose dans son article 79 que sont abolies « tous les textes précédents en contradiction avec le présent code, à compter de la date d’entrée en vigueur du code de la presse ».
S’inscrivant dans un contexte de crispation inquiétant, l’incarcération de Narseddine Ben Saida constitue un signal d’alarme pour tous les défenseurs de la liberté d’expression. Reporters sans frontières craint que les récentes déclarations agressives de certains membres du gouvernement vis-à-vis des journalistes justifient aux yeux d’une partie de la population tunisienne les agressions verbales et physiques dont ils sont régulièrement victimes de la part de groupes salafistes et, parfois même, de simples citoyens.
L’organisation s’est indignée des propos tenus par le ministre des Droits de l’homme, Samir Dilou, invité sur le plateau du Talk show Saraha Raha par le journaliste Samir El-Wafi, sur la chaîne Hannibal TV, le 4 février 2012. Lors de cette émission, faisant référence au magazine Gayday, Samir Dilou avait affirmé que la liberté d’expression s’arrête là où commence l’homosexualité, considérant celle-ci comme une maladie et une ligne rouge fixée par la religion.
En outre, à l’occasion d’un meeting du parti Ennahda, dont il est membre, le 19 février, à Bizerte, Samir Dilou a violemment attaqué les journalistes qui, selon lui, feraient n’importe quoi pour “passer une nuit en prison afin d’effacer leur passé et de se purifier de leurs péchés”.
Lors d’une interview accordée le 23 février à la chaîne Watanya 1, Rached Ghannouchi, leader du mouvement Ennahda, a demandé au syndicat des journalistes tunisiens de publier une liste noire des journalistes et dénoncé “les mêmes journalistes qui faisaient les éloges de Ben Ali insultent aujourd’hui Ennahda et le gouvernement”.
Ces déclarations sont choquantes et favorisent les intimidations dont sont déjà victimes les journalistes de la part d’une partie de la population, a estimé Reporters sans frontières.
L’organisation a recensé deux attaques d’équipes de télévisions depuis le début du mois de février.
Le 14 février 2012, une équipe de la chaîne Al-Hiwar Ettounsi a été victime d’agressions physiques et son matériel endommagé alors qu’elle couvrait la visite du prédicateur salafiste égyptien, Wajdi Ghanim, à Mahdia. Sous la pression des salafistes, l’équipe a été obligée de se retirer.
Lors de la couverture d’un sit-in d’anciens prisonniers politiques, le 20 février 2012, une équipe de la chaîne Nessma a également été attaquée devant le siège l’assemblée constituante par un groupe de salafistes et de simples citoyens qui avaient décidé d’interdire le tournage, prétextant que les médias ne sont pas dignes de confiance. Menacés verbalement, puis à l’arme blanche, l’équipe a quitté les lieux et refusé de porter plainte par crainte de représailles.
Les récentes déclarations et le refus de mettre en place les structures prévues par la loi sur l’audiovisuel et le code de la presse empêchent la situation d’évoluer sereinement. Ainsi, parallèlement à la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle et à la commission d’attribution de la carte de presse, le gouvernement doit mettre en place un bureau de dépôt légal chargé de recevoir des copies de toutes les publications et de les transmettre au centre de documentation nationale, sans quoi la mémoire nationale sera perdue.
Reporters sans frontières appellent les autorités tunisiennes à faire preuve de respect et de bienveillance à l’encontre des journalistes, tout en leur garantissant leur protection, notamment à travers le respect du droit et, de fait, l’application des nouvelles lois sur les médias.