Les images de l’attaque d’un casino à Monterrey (Mexique), qui s’est soldé par une cinquantaine de victimes sont le dernier maillon d’une longue chaîne de violents faits divers, qui envahissent quotidiennement les principaux medias de communication. La répétition de ces cruautés ne fait qu’augmenter, chez la majorité des citoyens les sentiments d’insécurité, d’impuissance, de désespoir et de fatigue émotionnelle, qui se transforment souvent en anesthésie. Cependant, au-delà de la vision déformée que ces médias exhibent au travers de leur promotion exagérée de la violence, on ne peut nier que le délit affecte la population et la vie sociale.
Loin d’être adepte de ces sections nécrologiques qui occupent une grande partie de l’espace communicationnel, et proche de la nausée que me provoque la violence, je crois qu’il est indispensable de mettre en lumière les origines d’où provient, dans l’actualité, le gros des activités criminelles.
C’est précisément l’optique de la non-violence, qui nous permettra d’aborder le thème d’une perspective éclairante, qui nous mène vers une issue positive sans inclure l’ennuyeux et répétitif inventaire des moyens répressifs. Inventaire qui, à force d’être répété, a démontré son absolue inefficacité à libérer les personnes de la menace physique criminelle et de ses nombreux effets collatéraux.
Le phénomène de la délinquance organisée s’exprime dans l’actualité sous deux variantes principales. La plus ténébreuse est celle des réseaux criminels à grande échelle qui brassent des millions, opèrent à niveau transnational et incluent parmi leurs principales activités le trafic de drogue, la vente d’armes, la traite des personnes et la contrebande. Les bénéfices provenant de ces activités sont en général réintroduits dans le système sous forme d’inversions « légales », grâce au mécanisme connu comme le « blanchiment d’argent ».
La seconde représentation structurée de la criminalité est celle des bandes ou « gangs », qui opèrent de manière plus locale, mais qui font déjà partie du paysage dans de nombreux pays. Ceux-ci sont souvent apparentés aux groupes transnationaux du crime, servant à leur enracinement et généralement à la dernière phase de leur commercialisation, la vente au détail. Mais ils agissent également sur ce qui est le plus généralement perçu par les citoyens : l’attaque à main armée, l’extorsion, le kidnapping entre autres.
Les conséquences sociales de cette épidémie vont bien au-delà du préjudice individuel évident et douloureux. La crainte et la perte de confiance se généralisent, le chagrin et la rancœur s’emparent facilement des individus, dans une ambiance où règne l’insécurité.
Quelles sont les véritables origines de ce phénomène ?
La criminalité, clairement endémique et structurale est inhérente au développement du capitalisme lors des dernières décennies. La mère du délit est la guerre, et son père le capitalisme néolibéral.
Voyons quelques exemples. Les protagonistes de l’attaque mentionnée en début d’article font partie des Zetas. Cette organisation, qui est au jour d’aujourd’hui dans la ligne de mire de l’autorité répressive de l’état mexicain, comme la principale menace de la paix publique, est issue précisément du cœur de la stratégie belliqueuse de l’État, face au soulèvement zapatiste au Chiapas en 1994. Sa fondation remonte à la désertion d’un groupe de militaires des forces spéciales de l’Armée, entraînés par la CIA pour contrecarrer les insurgés. Ils intègrent également dans leurs rangs des ex-militaires guatémaltèques. Originellement au service du Cartel du Golfe, ils se séparent de ce groupe en mars 2010, et se convertissent en compétiteur et ennemi territorial.
Il est important de se souvenir de la date du début du soulèvement paysan de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale. Le premier janvier 1994 est le jour où le Mexique est entré dans la sphère du traité de libre commerce connu comme le NAFTA (NdT : ALÉNA-Accord de Libre-Échange Nord-Américain).
Cette combinaison perverse de guerre et néolibéralisme aura des conséquences fatales également dans tous les pays voisins, créant ainsi cette problématique absolument structurale.
Au Guatemala, 32 ans de terrorisme d’état contre la guérilla et la population indigène rurale ont coûté la vie a environ 200’000 personnes. De nombreux ex-militaires et soldats ont trouvé dans le crime un moyen de subsister, en utilisant leurs « connaissances ». La politique de la « terre satinée », pratiquée par le criminel général évangéliste Rios Montt (un parmi tant d’autres) continuerait avec l’aplanissement d’état des années 90, issu de l’entrée du Guatemala dans l’ALÉAC (NdT : Accord de Libre-Échange d’Amérique Centrale) (avancée centre-américaine du prétendu ZLEA). Avec ce traité, le Guatemala, tout comme d’autres pays de la zone, a été envahi par les « maquiladoras ». Ces ateliers de fabrication à faible coût, similaires à ses équivalents asiatiques, qui fournissent encore aujourd’hui les grandes marques textiles et sportives, devinrent la première de diverses options, toutes plus mauvaises les unes que les autres, offertes à la population la plus pauvre. La seconde était d’émigrer. La troisième, que de nombreux ont choisi, était de se lancer dans le crime.
Au Salvador, suite aux accords de Chapultepec en 1992, qui ont mis fin à la guerre civile de plus d’une décennie, autant les paramilitaires de droite comme les combattants du FLMN auraient été démobilisés. Beaucoup de ces effectifs, de peu d’instruction, n’ont pas non plus trouvé leur place dans une société aux possibilités limitées. Un grand nombre est parti en exode vers des possibilités meilleures à l’étranger. Un autre contingent important a engrossé les nouvelles bandes, sur le modèle du lointain Bronx.
Honduras a connu le même sort. Dans le livre « Mémoires du futur », l’on peut lire : « Honduras a été un bon élève de l’Amérique du Nord, et l’on peut dire qu’il a bien gagné sa récompense. C’est l’un des pays les plus pauvres du continent, avec le plus faible développement technologique, ses institutions sont loin d’être un exemple de transparence et le crime et les délits liés au trafic de drogue se sont étendus pour atteindre des extrêmes incroyables ». À la fin des années 90, les chiffres officiels rendaient compte d’un nombre de jeunes approchant les cent milles, comme membres des deux principales organisations illégales du moment, la Mara 18 et la Mara Salvatrucha.
La même chose s’est produite au Nicaragua, déchirée par la guerre entre les sandinistes et leurs opposants, à la suite du triomphe du FSLN en 1979.
Et que dire de la Colombie, dont la seule mention suffit et ne nécessite pas d’autres explications que le seul fait que la délinquance n’a, dans son cas, même pas pris la peine de retirer les uniformes.
Mené sur le plan conceptuel, le processus qui conduit à la délinquance structurelle peut être décrit ainsi : les armées et la guerre prévoient initialement une occupation pour les millions de déclassés. Une fois terminées les actions belliqueuses, les forces contingentes ne se réintègrent pas facilement dans la société, pour les mêmes raisons que précédemment, généralement aggravées par le mal occasionné. De plus, la guerre en particulier et l’armement en général prévoit l’instrumental qui servira ensuite aux fins criminelles. Si à la destruction du conflit armé, on ajoute l’élimination des protections d’état, et les sources de travail locales dignes, au travers des programmes connus sous le nom de libre-marché, nous obtenons le panorama complet pour comprendre les voies d’installation de la criminalité comme « issue de travail » pour des milliers de jeunes.
Pour cela, celui qui veut réellement freiner la vague criminelle devra laisser de côté les phrases vides de sens comme « tolérance zéro », qui révèlent l’ignorance, la mauvaise foi ou encore la complicité ouverte avec les forces du crime. La politique répressive ne parvient pas à faire baisser la criminalité, elle ne fait qu’engrosser la population carcérale.
Les peuples parviendront à diminuer la délinquance seulement s’ils choisissent de se battre contre la guerre, contre le militarisme sous toutes ses facettes, tout en optant pour ne pas coopérer avec ces forces qui, avec de fausses promesses néolibérales de liberté et une amélioration économique, ne cherchent qu’à augmenter leurs propres profits.