pressenza, 28/5/11 Les pancartes sont très variées : « on n’a pas besoin d’alcool, il faut qu’on soit lucides », « Ceci n’est pas une crise, c’est une arnaque », « le plus important, c’est toi », « Spanish Revolution », « Pour un changement pacifique » et « nous ne sommes pas contre le système, le système est contre nous ».
Il y a aussi une liste immense qui dénonce les renvois, les licenciements, les abus des banquiers, les expulsions, les difficultés pour les universitaires à trouver un emploi et le prix des inscriptions pour étudier, dont la meilleure illustration est ce slogan : « Se ofrece Universitaria Pre-parada » (s’offre, universitaire préparée pré-chômeuse), c’est à dire qu’elle est très qualifiée mais sans futur dans le marché de l’emploi. C’est comme une rébellion, sans violence, contre ces fils invisibles qui contrôlent tout et nous empêchent de nous construire une vie digne.
Un passant explique la manifestation à sa mère octogénaire : « si on vient tous ici, ils verront qu’on est beaucoup à en avoir marre, et peut-être qu’ils changeront quelque chose… »
Puis la foule aimable et tranquille me pousse vers une rue piétonne moins bouchée et de là j’arrive mieux à observer ce panorama inhabituel, qui de temps en temps nous surprend par des exclamations, des sifflements, ou des bras qui se lèvent en agitant les mains. Tout le monde fait des commentaires , des familles, des parents avec leurs enfants, des couples, des jeunes, des vieux, c’est à dire « les gens communs », personne ne se distingue par sa position sociale. C’est la majorité qui souffre de cette situation.
Soudain, je croise une jeune activiste qui collecte des signatures sur une feuille marquée « Pour un campement indéfini » . Ca me surprend et je me mets à parler avec elle.
-Vous allez donc continuer ?
-bien-sûr -m’affirme-t-elle en souriant- autant de temps qu’il le faudra.
-Comment vous organisez-vous?
– Et bien, vers midi nous rentrons chez nous pour nous doucher, nous changer, nous reposer et nous revenons. Nous sommes organisés, là-bas il y a des stands d’information et de communication, bien que tu ne puisses pas l’atteindre pour le moment. La nuit, c’est plus calme, il y a moins de monde.
-Et vous comptez continuer jusqu’à quand ?
-Jusqu’à ce que le Congrès des députés étudie nos requêtes, ce que l’on exige, me répond-elle doucement, convaincue que ce qu’elle fait est ce qu’il y a de mieux pour elle et pour les autres.
Un autre jeune s’approche:
– Oui il faut qu’on continue. Je m’informe grâce aux messages sur Twitter à chaque instant et je me rends compte que les médias ne comprennent pas, d’après leurs commentaires ; Ceci est tout simplement le soulèvement du peuple.
Les autorités avaient assuré qu’elles n’interdiraient pas les manifestations sauf en cas de débordements sociaux , chose qu’elles prévoyaient pour la journée d’élection de dimanche. Mais la « désobéissance pacifique » défend le droit à se réunir et à « réfléchir ensemble ».
Le jour des élection est passé ( aucun débordement n’a d’ailleurs été recensé) et le campement se poursuit, sans la foule de ce week-end (1). S’organiseront désormais des assemblées dans tous les quartiers de toutes les villes.
Maintenant on range la place, on enlève les pancartes pour ne pas déranger les commerçants, on laisse de l’espace pour la circulation des personnes et véhicules.
Le mouvement a évolué, il s’appelle désormais « Mouvement 15-M », en référence au 15 mai, jour où commencèrent les protestations. « Nous n’avons pas de référence historique d’une société qui survit sans leader » m’assure une activiste, « mais ceci pourrait bien le devenir »
L’establishment ne comprend pas ce phénomène, et les intellectuels font des interprétations variées ; un journal parle de « restes du passé », alors qu’en réalité c’est « un pari pour le présent et le futur » Les médias informent peu, au minimum, même si la télévision couvre le phénomène régulièrement, et ne transmettent pas la véritable signification de cette protestation très importante et courageuse.
Me reviennent en mémoire mon époque de révolté quand ,dans les années 70, on s’organisait tranquillement autour d’une idéologie modérée qui disait : « on ne sait pas ce qu ‘on veut, mais on sait ce qu’on ne veut pas ». Et on voulait un changement, changer les choses était ce qu’il y avait de plus héroïque. Aujourd’hui cela resurgit dans les rues espagnoles, dans la plupart des villes. Et maintenant dans les quartiers. Pendant que de nombreuses autres villes dans d’autres pays font leurs protestations respectives(comme à Athènes récemment).
Un mouvement extrêmement exaltant est né, qui réunit les plus discriminés de la société.
Conscients qu’ils ne peuvent rester indéfiniment sur les places principales, ils commencent à s’organiser en Assemblées populaires dans les quartiers. Il est l’heure pour moi de me rendre à celle de mon quartier.
(1) la presse parle pour le 22 mai de 25000 personnes à Sol, 10000 à Valence, et 7000 à Barcelone
(Traduction: Mélissa Desplanques)