PressenzaWashington, 10/28/10. Les documents, terriblement détaillés, démontrent la déferlante quotidienne de violence, d’assassinats, de viols et de tortures auxquels ont été soumis les Irakiens depuis que George W. Bush a déclaré « Mission accomplie ». Les documents publiés par WikiLeaks, connus comme les « Registres de la Guerre d’Irak » ont occupé les premières pages des journaux en Europe, tandis qu’aux Etats-Unis, la nouvelle a à peine été mentionnée dans les programmes du dimanche.

Il y a tout d’abord les documents en soi. J’ai parlé avec Julian Assange, fondateur et éditeur en chef de WikiLeaks.org qui explique : « Ces documents vont de 2004 à début 2010. C’est la description la plus exacte jamais publiée à propos d’une guerre. On y apprend qu’il y a eu 285 000 victimes, s’accumulant rapport après rapport. On connaît chaque victime, ce qui s’est passé, où, quand et qui a été impliqué, selon les comptes-rendus des Forces Armées des Etats-Unis ».

David Leigh, éditeur d’investigations du journal the Guardian de Londres m’a dit à propos des informations filtrées : « Cela représente la matière première de l’Histoire. Posséder ces informations n’a pas de prix, puisque, comme on le sait, les six ou sept dernières années d’invasion et d’occupation de l’Irak se sont accompagnées, comme cela arrive fréquemment, de propagande, interprétations, versions embellies. Ceci est la version pure et simple des faits et il est clair que cette version, sans fioritures, confirme ce que beaucoup d’entre nous craignaient et ce que de nombreux journalistes ont essayé de transmettre au cours de toutes ces années : que l’Irak s’est converti en un bain de sang, avec des assassinats inutiles, des massacres de civils, des tortures et des personnes battues à mort ».

Les rapports, rédigés dans un langage bureaucratique inexpressif et remplis de jargon militaire, regorgent de détails terrifiants. Des mots tels que « viol, assassinat, exécution, séquestration et décapitation » se répètent inlassablement dans les centaines de milliers de rapports, témoignant ainsi, non seulement de l’échelle et de la régularité de la violence, sinon en définitive, d’un nouveau bilan des victimes civiles en Irak.
L’organisation Irak Body Count, dont le siège se trouve en Angleterre, possède une base de données des morts en Irak, à partir d’une investigation minutieuse qui comptabilise uniquement les morts documentées. On estime que les « Registres de la Guerre d’Irak » font état de 15 000 décès de civils qui n’avaient pas été enregistrés jusqu’à présent, ce qui élève le nombre de morts à 150 000 depuis le début de l’invasion, dont 80% de victimes civiles.

Lors d’un incident en février 2007, deux hommes Irakiens tentaient de se rendre face à l’attaque d’un hélicoptère de combat américain. Les rapports révèlent qu’il a été ordonné à l’équipage de rentrer à sa base et qu’on leur aurait dit : « Des hommes ne peuvent se rendre devant un aéronef, ce sont donc des cibles». Tous deux ont été assassinés. Il s’agissait de la même unité et du même hélicoptère qui, quelques mois plus tard attaquait un groupe de civils à Bagdad, tuant ainsi tous les hommes qui s’y trouvaient, dont deux employés de l’agence de presse Reuters, et blessait deux enfants. Cet incident également documenté dans les Registres de la Guerre d’Irak est à l’origine d’une autre publication de WikiLeaks « Assassinat Collatéral ».

SOLDAT AMERICAIN: “Light ‘em all up. Come, on, fire!”
“(gunshots)”

L’attaque réalisée a été filmée depuis le propre hélicoptère Apache, avec l’enregistrement de la radio militaire correspondant,
“(gunshots)”
SOLDAT AMERICAIN: “Keep shooting”
Et montre des soldats qui rient et insultent tandis qu’ils assassinent des civils et que la nouvelle se répand dans le monde entier.
SOLDAT AMERICAIN: “One small child wounded. Over.”
SOLDAT AMERICAIN: “Roger. Ah, damn. Oh, well.”

L’on peut imaginer ce qui se serait passé si les opérations militaires n’étaient pas aussi secrètes, si l’assassinat en février des deux hommes les mains en l’air pour se rendre, avait été rendu public. S’il y avait eu une investigation et si l’on avait appliqué des actions punitives appropriées. Peut-être que le caméraman de Reuters, Namir Noor-Eldeen, 22 ans, et son chauffeur, Saeed Chmagh, père de quatre enfants, seraient aujourd’hui vivants, et peut-être que les civils ayant eu la malchance de se trouver là ce jour fatidique de juillet, seraient aussi en vie. On comprend ici l’importance de la transparence.
Sur les grandes chaînes de télévision, les programmes politiques du dimanche ont à peine abordé le sujet de la plus grande fuite d’informations classées secrètes de l’histoire des Etats-Unis. Quand on leur demande pourquoi ils n’ont pas traité le sujet, ils affirment que les élections de la mi-mandat étaient leur priorité. Très bien… mais la guerre est un thème clé dans les élections et devrait figurer dans chaque débat, être discuté dans chaque programme d’interviews, d’analyse politique.

J’imagine les moyens de communication de masse, comme une grande table de cuisine qui s’étend sur toute la planète et autour de laquelle nous pouvons tous nous asseoir, débattre et discuter les sujets les plus importants du jour : la guerre et la paix, la vie et la mort. Faire moins que cela porte préjudice aux hommes et aux femmes en service, soldats de ce pays qui ne peuvent mener ces débats dans leurs bases militaires et qui nous font confiance, à nous, la société civile, pour discuter et déterminer s’ils vont vivre ou mourir, s’ils seront envoyés pour tuer ou pour être tués. Faire moins que cela amoindrit chaque société démocratique.

Amy Goodman est une journaliste d’investigation reconnue et une rédactrice syndicale, auteur et producteur de Democracy Now!
www.democracynow.org