Pour l’expliquer simplement : l’équipe de Venter a travaillé avec une version synthétique de l’ADN provenant d’une petite bactérie appelée Mycoplasma mycoides, réalisant ce processus complexe à l’aide d’un ordinateur.

Une fois obtenu le code génétique artificiel de la bactérie, les scientifiques vident une autre bactérie – Mycoplasma capricolum – de son ADN, et lui injectent le code artificiel. Le génome artificiel a déplace ainsi le génome naturel de la bactérie et prend le contrôle des cellules, se comportant comme un nouvel organisme vivant, « baptisé » JCVI-syn1.0

La polémique scientifique.

L’article en question ouvre le débat scientifique, à savoir si nous sommes effectivement en présence de création de vie. De fait, l’expérimentation avait besoin tout d’abord d’un génome originel d’une bactérie (Mycoplasma mycoides), puis d’une seconde bactérie (Mycoplasma capricolum). Mais bien que le génome de la cellule synthétique est copié à partir d’un génome naturel, il est synthétisé par des techniques chimiques dont la séquence est réalisée par ordinateur.

« Il s’agit de la première cellule synthétique créée. On l’appelle synthétique car la cellule provient totalement d’un chromosome synthétique, fabriqué à partir de quatre bouteilles de composants chimiques dans un synthétiseur chimique, à partir de l’information d’un ordinateur », explique Craig Venter.

La discussion scientifique commence à peine : « Venter n’a pas créé la vie, il l’a seulement imitée », affirme le biologiste moléculaire et Prix Nobel, David Baltimore. Quant à l’ingénieur et médecin biologiste James Collins, il déclare dans la revue Nature : « Franchement, les scientifiques n’ont pas les connaissances biologiques suffisantes pour pouvoir créer la vie. Le travail publié par Venter et son équipe représente une avancée importante quant à notre capacité de faire de l’ingénierie d’organismes, mais cela ne signifie pas que nous fabriquons une nouvelle vie à partir de zéro ».

Au-delà de la discussion scientifique, il est clair qu’il s’agit là d’un pas extrêmement important. Même si la bactérie JCVI-syn1.0 n’était pas de la vie synthétique, il n’y a aucun doute que d’ici quelques années les techniques et procédés seront suffisamment au point pour créer la vie synthétique.

Discussions légales, éthiques et religieuses

Le travail de Venter a aussi des conséquences légales et éthiques. De fait, la plus grande partie de la polémique scientifique est due au litige suscité en l’an 2000, lorsque Venter fit la tentative d’enregistrer à son nom la propriété intellectuelle de la séquence du génome humain. Cette année-là, deux équipes réussirent, quasi en même temps, à séquencer le génome humain. L’une des équipes faisant partie d’un projet public affirmait que ce type d’information appartenait au domaine de tous les scientifiques, tandis que l’autre équipe, issue d’une initiative privée, notamment du laboratoire de Venter, tentait de breveter la séquence du génome humain. Fort heureusement, l’information n’a pas pu être brevetée par Venter, stigmatisé d’avoir tenté d’obtenir « le brevet de la vie humaine ».

Par ailleurs, il faut signaler que le travail de Venter fait l’objet de pas mal d’intérêts économiques et commerciaux, ce qui fait augmenter la suspicion à son égard. Ses recherches ont été effectuées en collaboration avec la société Synthetic Genomics Inc., fortement soutenue par le gouvernement des Etats-Unis et très liée à Exxon Mobil et BP, dont on connait l’application cruelle des nouvelles technologies, notamment lors de l’écoulement du pétrole dans le Golf mexicain.

Le travail de Venter est important dans la mesure où il représente le début de la « course à la création de microorganismes conçus à la carte » pour produire par exemple des cellules programmées pour créer des biocombustibles à partir de la lumière du soleil, pour purifier l’eau et les pertes de pétrole, de nouveaux vaccins et antibiotiques, etc.

Les risques d’utilisation à mauvais escient de cette technologie sont évidents dès lors qu’elle pourrait être utilisée pour la production d’armes biologiques, qu’elle pourrait aussi générer des accidents au vu des applications illimitées pour de nouvelles formes de vie. De fait, en octobre 2004, dans un éditorial de la revue scientifique Nature, on pouvait lire : « si les biologistes sont sur le point de synthétiser de nouvelles formes de vie, la portée des désastres qui pourraient être provoqués volontairement, ou par négligence, est potentiellement immense ».

Les réactions ne tardèrent pas de la part du monde religieux : « Dans de mauvaises mains, la nouveauté d’aujourd’hui peut supposer demain un saut dévastateur vers l’inconnu » estime l’évêque Domenico Mogavero, président de la Commission des Affaires Juridiques de la Conférence Episcopale italienne, lors d’un entretien publié dans le journal de la Stampa. Il ajoute : « l’homme vient de Dieu, mais il n’est pas Dieu : il est humain et a la possibilité de donner la vie en procréant et non en la construisant artificiellement ». De son côté, Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, se montre plus prudent, affirmant qu’il faut « attendre d’avoir plus d’information » au sujet de cette découverte.

Une avancée à célébrer

Historiquement, les progrès scientifiques qui atteignent les frontières de la connaissance, ont générés de grandes peurs, et même des persécutions -rappelons-nous Galilée. Mais si nous nous mettions à la place de ces hominidés d’il y a 500.000 années qui à la différence de toutes les autres espèces en dépassant leur propre instinct de conservation furent capables de s’approcher du feu, de le conserver, de le dominer et par la suite de le produire, nous nous rendrions compte que « apprendre sans limites » a été l’un des piliers de l’extraordinaire développement de notre espèce.

Même s’il y eut certainement des accidents et qu’on utilisa le feu aussi comme arme de destruction, le feu changea complètement la vie de ces hominidés : il procura la lumière et la chaleur face à l’obscurité et le froid ; il leur apporta protection face aux autres animaux prédateurs ; il leur permit de cuisiner la nourriture, d’éliminer les parasites et les bactéries améliorant ainsi les capacités nutritives. L’utilisation du feu rendit possible le début des transformations physiques et chimiques de la matière inanimée comme la fonte des métaux. C’est-à-dire que le feu est le point de départ de la première époque de « haute technologie » de l’humanité. Sans aucun doute, nous n’existerions pas aujourd’hui si ces premiers hominidés n’avaient pas désobéi à leur propre instinct de conservation.

Au-delà des préoccupations éthiques, philosophiques, religieuses et politiques, au-delà des intérêts commerciaux de Venter même ou des entreprises soutenant la recherche, il est clair que le travail de Venter ouvre la voie à de nouvelles formes de vie. L’évolution de la vie dépend depuis des millions d’années de la combinaison de quatre paires de lettres chimiques de l’ADN. Maintenant, le travail de Venter ouvre la possibilité à la génération d’êtres vivants inédits sur notre planète.

Si jusqu’à présent notre espèce a été capable de modifier la nature ainsi que sa propre nature, nous sommes aujourd’hui au seuil de la conception de nouvelles formes de vie en dehors de ce qui est naturel. Les aboutissements de tout ceci sont inimaginables, et il s’agit là d’une nouvelle qui mérite d’être célébrée.

Traduction : Tatiana de Barelli